J'ai récement reçu un mail de Martial, un de mes anciens collégues de travail, dont il fallait absolument que je vous fasse part sur ce site. Ce simple recit et témoignage de son voyage m'a énormément touché et fait réfléchir...Il ne s'agit pas uniquement d'un compte rendu d'evasion dans ce pays lointain et magique qu'est l'Inde mais ce recit porte un bien plus profond message qui, je l'espère, saura vous inspirer. Bonne lecture à tous Salut a tous! "O Inde secrete et profonde, deroutante et envoutante, depuis la nuit des temps les sages et les saints qui foulent ton sol sacre ont perce le secret de l’existence. O Terre de Bharat ou le clan du soleil et celui de la lune s’affrontent pour ne devenir qu’un, ou l’ombre n’existe que par la lumiere, ou le relatif se dissoud dans l’absolu. O grand shiva, realite ultime, je depose a tes pieds de lotus ce voyage vers l’inconnu." Madras, le 3 fevrier 6h30 : Aterrissage sur l’aeroport et deja l’Inde commence a nous surprendre. En effet, au beu milieu des pistes, nous distinguons a travers le hublot 2 personnes tranquilement assises en priere. Quelques minutes plus tard, une fois les formalites douanieres accomplies, changement de decors : Nous sortons de l’aeroport et la, une horde joyeuse de plusieurs centaines d’indiens est aglutinee contre la barriere a attendre la famille qui rentre au pays. Il y a la aussi une multitude de taxis et rickshaws (triporteurs) prets a tout pour faire monter le client dans leurs vehicules, tout cela dans un brouhaha tres typique. Par chance nous avons rencontre dans l’avion deux jeunes etudiants sympas venus effectuer un stage encadre par l’alliance francaise si bien que nous montons avec eux dans la voiture mise a leur disposition et nous voilà donc transportes gratuitement vers le centre-ville. C’est deja mon cinquieme voyage enAsie, mais je me souviens encore parfaitement de ma premiere arrivee et du transport en bus vers l’hotel : C’est un moment tres fort car tout est neuf a vos yeux, les couleurs, les formes, le trafic, les maisons, les habits, les visages, la vegetation, les odeurs… A l’enthousiasme de la decouverte se mele un sentiment de peur car la sensation de debarquer dans un autre monde est tres forte. Je suis donc dans cette voiture et regarde les visages de Marie-Delia et des deux etudiants. Chaque seconde est une nouvelle emotion pour eux. Parfois ils ne semblent pas croire ce qu’ils voient. Et oui, l’Inde est bien souvent hallucinante ! Tiens ici quelqu’un qui leur fait bonjour, la un mec qui dort a meme le trottoir sans se soucier du vacarme des klaxons ni du va et vien des passants, derriere un 4*4 flambant neuf trotte un couple de buffles tractant une charrette pleine de canne a sucre, ici un immeuble moderne de 15 etages et juste a cote un bidonville… Puis vint le premier exercice delicat, se trouver un hotel pas trop cher qui ne rebute pas Marie-Delia ! Exercice reussi au deuxieme essais apres avoir visite une Lodge vraiment miteuse. L’hotel que nous avons trouve n’est pas terrible et bien cher pour ce que c’est mais nous ne passerons qu’une nuit ici. Madras- 5 millions d’habitants- est une ville indienne comme les villes indiennes : Symphomie de klaxons, pollution impressionante, odeurs detestables, misere sur le trottoir, bref pas de quoi s’attarder ici. Le lendemain a l’aube, depart pour Mysore en train, le Shatabdi express : Je n’avais jamais pris un train aussi rapide en Inde, nous parcourons les 500 km en 7 heures. En general, il faut compter une moyenne de 50 km/h ! Dans le train , on nous distribue un journal national et c’est la que je constate que les infos concernant le tsunami sont releguees en page 5 et que malgre l’ampleur des degats, 99% du pays continue a vivre normalement. Les infos chez nous focalisent tellement sur l’evenement que nous avons l’impression que les pays touches se sont arretes de vivre… Des notre arrivee a Mysore qui ne compte ( que !) 700 mille habitants, nous nous sentons moins oppresses qu’a Madras, tout y est plus propre et plus tranquille. Apres une longue ballade dans les differents quartiers de la ville, ballade ponctuee d’inombrables « Hello what’s your name ? » ou encore « Hello where do you come from ? » qui nous accompagneront tout au long du periple, surgit le magnifique palais d’un maharaja. Ce Palais n’a rien a envier a nos chateaux, il est tout aussi somptueux et plus colore. La salle centrale erigee sur de hauts pilliers arc en ciels est dominee par une toiture en vitraux eblouissante. Nous restons admiratifs devant la qualite et la precision du travail. De toute evidence cela temoigne d’une grande culture et d’une nation riche avant l’arrivee des anglais. C’est en observant le flegme amusant des gardiens du palais, au moins trois fois trop nombreux que je realise comment l’Inde trouve toujours des solutions pour compenser ses manques ou ses exces. Pour chaque poste ou une personne competente suffirait, il y en a au moins le double. Il nous arrive de rentrer dans certains magazins ou les 4 vendeurs sont la paisiblement assis si ce n’est pas endormis… Mais si tous ces employes ne beneficient que d’un maigre salaire, au moins cela permet a un maximum de gens d’avoir du travail. Il est sur que si le neoliberalisme occidental avec sa productivite et sa rigueur economique meprisante s’installe ici, on court droit a la catastrophe. En effet comment un pays qui compte plus d’un milliard d’etres humains pourrait il pourvoir aux besoins de tous si les milliers de petites boutiques et de petits boulots sont remplaces par des supermarches ecrasant tout sur leur passage. Gandhi disait « Ce monde contient assez de richesses pour subvenir aux besoins de tout le monde mais pas assez pour subvenir a l’avidite d’une seule personne. ». Les villes indiennes regorgent de tout un tas de metiers qui ont disparus chez nous : cordonniers, tailleurs, porteurs de bagages dans les gares, barbiers- a noter qu’etre barbier en inde consiste parfois a simplement installer un miroir sur un mur, disposer une chaise devant le miroir et attendre le client-, vendeur de chaussette ou de peigne comme ca a meme le trottoir… Que se passerait il ici si le travail au noir devenait formellement interdit ? Que se passerait il si tous ces gens qui vivent de peu mais qui vivent venaient a perdre leur emploi ? Je ne sais pas mais j’ai confiance en ce pays et ce peuple qui au cours de son histoire a toujours developpe des facultes d’adaptation etonnantes sans jamais renier ce qui constitue son essence. L’Inde est veritablement un pays de contrastes ou entre autres la modernite cottoie allegrement la tradition. La force de l’Inde, c’est de savoir integrer ce qui vient de l’exterieur dans son propre modele, dans sa facon de penser. Si on prend l’exemple de la colonisation britanique, l’impact de celle ci a ete colossal mais tout ce qui a ete importe a ete digere et se perpetue mais a la mode imdienne que ce soit dans l’administration, le commerce, la nourriture, la musique… Il y a peu nous etions dans un internet cafe et un petit ecriteau disait les mots suivants : » «Un business qui a pour seul but le profit est une bien pauvre sorte de business. » L’indien moderne possede sa voiture, son portable et une indispensable paire de lunettes de soleil mais l’instant d,apres il sera agenouille devant la statue de sa divinit preferee et vous tiendra le discours suivant « Celui qui fait du seva (service desinteresse, benevolat) aura toujours le sourire » ou encore « Quand on a que de l’amour on a plus de probleme ». En fait il n’y a pas une Inde mais des Indes et l’on peut aborder ce pays sous de nombreux angles. Il y a l’Inde rurale, culturelle, tribale, moderne, religieuse, artisanale, festive, sociale, politique…Ces Indes se melangent et se cottoient et chacun est touche par l’un ou l’autre de ces aspects. En ce qui me concerne l’Inde qui m’est alle droit au coeur, c’est l’Inde spirituelle. En 1998, je suis parti en Indonesie , j’y ai effectue un voyage fabuleux en compagnie de mon ami Greg.Notre sejour fut riche en rencontres et en partages avec ce peuple chaleureux et accueillant. Mais malgre toutes ces joies, je ressentais un manque. Quelquechose etait absent de ma vie mais je ne savais pas bien quoi. A ce moment, j’ai lu un livre de Lanza Del Vasto qui s’intitule « Le pelerinage aux sources ». Dans ce livre l’auteur raconte son cheminement a pieds a travers les Indes jusqu'à sa rencontre avec Gandhi dont il devint le disciple. Aussi en lisant ce livre j’acquis la conviction que je devais moi aussi me rendre dans ce pays. Je partais donc un an plus tard avec quelques amis chabifou. Apres un mois agreable passe avec eux au pieds des himalayas, je decidai de suivre mon propre chemin. Me voilà donc en route pour le sud de l’Inde sans trop savoir ou j’allais ni ce que j’allais y faire. Puis de fil en aiguille, de rencontre en rencontre, je fis la connaissance de Roro, un francais assez singulier mais tres doux et rigolo. Il me dit qu’il souhaitait aller voir une sainte dont il avait entendu parler dans l’avion et qui vivait non loin de la dans son ashram- communaute spirituelle, sorte de monastere hindou- au Kerala. Sans trop savoir a quoi m’attendre, je le suivis. Une fois sur place, mes premieres impressions furent mitigeees : L’ashram etait un lieu paisible proche de la mer mais l’atmosphere qui y regnait etait si particuliere, si nouvelle que je ne savais pas quoi en penser. Les residents de l’ashram, tous habilles en blanc, me faisaient penser a un hopital psychiatrique. Alors que Roro souhaitait rester a l’ashram un mois, moi je decidai de partir le lendemain jugeant que ce n’etait pas mon truc. Mais le ‘hasard’ voulut que quelqu ‘un passa devant moi en disant qu’on avait besoin d’aide a la menuiserie. Or j’aime bien travaille le bois et la perspective de le faire avec des indiens m’a seduit, je suis donc reste. La particularite de cet ashram, c’est qu’un mahatma-grande ame- y reside. Evidemment pour qui n’a jamais rencontre un etre eveille, les mots saint, sage ou encore etre illumine n’ont que peu de sens. Chacun se faisant sa propre idee de ce que pouvait etre un Jesus, un Boudha, un Krishna ou un Saint francois d’Assise. A l’epoque, tout cela ne voulait pas dire grand chose pour moi. Malgre tout apres 3 ou 4 jours je me decidai a recevoir ce qu’on appelle un darshan. Darshan signifie le fait d’apercevoir ou de voir un saint, d’etre en sa presence, de voir dieu ou une image de dieu. Chaque sage en Inde donne le darshan d’une facon differente. Mata Amritananda Mayi, la sainte de l’ashram, plus connue sous le nom d’Amma donne le darshan en vous prenant dans ses bras. Un soir de fevrier 99, j’ai donc recu mon premier darshan. Au moment ou elle m’a etreint, j’ai senti tres profondement que cette femme me connaissait, non seulement qu’elle me connaissait, mais qu’elle savait tout de moi. J’ai meme ressenti qu’elle me connaissait mieux que je ne me connaissait. En sortant de l’accolade, l’idee de regarder un sage dans les yeux m’est venue a l’esprit car j’avais lu ou entendu que ce genre de regard pouvait veritablement changer une vie. A ce moment precis, Amma tourna la tete vers moi et me regarda profondement dans les yeux… Coincidence ? Je ne peux le croire tant cela avait ete si rapide, quelques secondes tout au plus, mais tellement intense que je ne l’oublierai jamais. Apres le darshan, je suis sorti de l’ashram et me suis dirige vers la mer. Sur la plage, je me suis assis, les etoiles brillaient, le vent me carressait de sa douce brise, le bruit des vagues bercait mon ame et l’envie de m’incliner, de me prosterner devant cet univers a jailli en moi. Sans comprendre je me suis donc prosterne devant la beaute de ce monde, je me suis incline devant l’immensite du cosmos. Ce n’est que plus tard que j’ai compris la symbolique de ce geste : En se prosternant, on a le coeur plus haut que la tete, ce qui symbolise que l’on place les valeurs du coeur au dessus de celles de l’intelect. Ce geste a genere un soulagement enorme pour moi, comme si cette nuit la, j’avais lache du lest ; je crois que ce soir la un peu de mon orgueil s’est envole. Il est toujours delicat pour moi de temoigner de cette experience a ceux qui n’ont pas vecu quelquechose de similaire. Il est deja difficile d’expliquer le gout de la fraise a quelqu’un qui n’en a jamais goute alors imaginez a quel point il n’est pas evident de partager une experience aussi subtile et personnelle. Toujours est il qu’apres le darshan, je sentis que ma place etait la et pris la decision de sejourner plus longtemps a l’ashram. Et en un mois, c’est incroyable tout ce qui s’est passse dans mon petit crane te mon petit coeur. Il faut savoir qu’a l’epoque j’avais 25 ans et que cela faisait environ 5 ans que je trainais un certain mal-etre et un grand manque de confiance en moi associe bien sur a une incomprehension totale de ce qui se passait dans ma tete. A l’ashram, il est demande de participer au moins deux heures par jour aux differentes taches quotidiennes de la vie communautaire. Le seva qui m’a ete attribue fut de laver douches et latrines. Ce travail aurait pu me repugner, cependant je l’effectuais avec une grande ferveur et beucoup d’application. Ce faisant, j’avais comme l’impression que ce qui se passait a l’exterieur se produisait aussi a l’interieur et tout en frottant les bacs a douche je recurais aussi mon inconscient. Le reste du temps, je lisais beaucoup, en particulier sur le fonctionnement du mental selon le vedanta- une des ecoles de philosophie indienne. Je me familiarisais a ces notions qui veulent tout et rien dire chez nous mais qui recelent ici un sens profond et une connaissance de l’esprit pertinente (Karma, Eveil, Guru, Samskara…). Je decouvrais aussi la meditation. L’une des images utiliseees ici pour expliquer ce qu’est la meditation est la suivante : Le mental humain est comme un lac dont la surface est constament agite ( Le mental est en effet constament agite par des pensees ou des emotions) et dont l’eau est boueuse (tendances egoistes, jalousie,peur, orgueil, avidite…). Or dans un tel lac il est impossible de voir en profondeur et de savoir ce qu’il y a au fond du lac. La meditation va donc permettre de calmer les pensees et les emotions et ainsi apres un long travail de purification des eaux, se devoilent les tresors caches aux trefonds de notre etre. La meditation et le seva sont deux des nombreux moyens mis a notre disposition pour parvenir a retrouver la paix interieure. Il existe cependant une multitude de techniques, de methodes et d’attitudes a adopter pour decouvrir son etre veritable, mais mon propos n’est pas ici de les decrire toutes. Pendant ce mois a l’ashram, il y eu beaucoup de prises de conscience sur qui j’etais, sur ce que je souhaitais et sur le but de mon existence. Mais une chose est sure, c’est que ce travail sur moi ne se serait jamais fait sans la presence aimante et l’energie spirituelle d’Amma. La on entre dans ce qui est le coeur de l’enseignement de maitre a disciple. Je sais que chez nous la notion de maitre spirituel, de guru pour reprendre la terminologie indienne est souvent mal comprise, carrement refusee ou meme galvaudee. Il y a la pourtant un paradoxe. Alors que l’on accepte l’idee qu’un enseignant nous guide ne serait ce que pour apprendre les 26 lettres de l’alphabet ou encore pour apprendre a piloter un avion ou jouer de la guitare, d’ou vient notre resistance a nous faire guider dans notre cheminement spirituel alors que l’aventure interieure est surement l’une des aventures les plus perilleuses qu’il soit ? Je concede par contre que la qualite de l’enseignant est un point crucial a plus forte raison lorsque les enjeux sont importants. Avec Amma je ne crois pas me tromper tant cette femme est l’incarnation de l’amour inconditionnel et de la compassion. Tout d’abord elle est a la tete d’une organistion charitative et humanitaire impressionnante : 2 hopitaux modernes sont mis a disposition des pauvres, 2 orphelinats de 300 enfants, plusieurs ecoles primaires, un centre de recherche sur les medecines traditionnelles, plantation d’arbres en Inde, 25 000 logements gratuits pour des femmes veuves, un dispensaire pour les patients atteints du sida, des instituts informatiques ouverts a des etudiants sans moyens, 50 000 repas distribues gratuitement aux plus demumis… Le Tsunami a encore recement demontre l’efficacite de son action : Le gouvernement vient de celebrer l’ouverture de son premier camp de refugies pouvant accueillir 100 familles, cela 1 mois apres la catastrophe. Alors qu’en moins d’une semaine, l’ashram a construit dans le kerale et le Tamil Nadu, les deux etats les plus touches, 9 de ces camps avec l’eau courante et l’electricite pour chaque famille. La compassion d’Amma en actes est impressionante mais je crois qu’il ne s’agit la que de la face emergee de l’iceberg. On estime qu’Amma a donne au jour d’aujourd ‘hui environ 25 millions de darshan, autrement dit elle a pris 25 millions de personnes dans ses bras. Il y a deux semaines nous etions a Bangalore ou Amma donnait un enseignement de 3 jours. Chaque jour elle a pris 40 000 personnes dans ses bras, ce qui represente une bonne partie de la journee et jusqu’au bout de la nuit a etreindre des milliers d’indiens. Or chaque darshan est donne a 100%, elle ne se leve pas, ne mange pas et sourit en permanence. Aucun darshan n’est neglige. Certains pleurent apres le darshan, d’autres ont le sourire jusqu’aux oreilles, d’autres encore n’ont probablement pas senti grand chose. Quelle sorte d’etre humain peut donner autant d’affection avec une telle constance sans manifester la moindre lassitude le moindre enervement ? 40 000 personnes 3 jours de suite ! Mais le plus etonnant c’est qu’apres avoir etreint 40 000 personnes, Amma se leve, le meme sourire aux levres, le visage rayonnant sans le moindre signe de fatigue… La encore je ne parle que de ce qui se voit car comment imaginer ce qui se passe dans le coeur de chacune de ces personnes embrassees ? Compte tenu dema propre experience et de celle echangee avec beaucoup d’autres qui ont eu la chance depassser dans ses bras, tout porte a croire que ces 40 000 personnes viennent de vivre un moment fort voire determinant. Quelle sorte d’etre humain est Amma ? Je n’ai pas la reponse, meme son plus vieux disciple a qui on a demande « Qui est Amma ? » a repondu : Plus je connais Amma, moins j’ai l’impression de la connaître car plus je me rends compte que le mystere d’amour derriere elle est grand. Je crois qu’Amma fait parti de ces etres insondables comme Jesus ou Boudha. Je crois simplement que ce sont des etres depourvus d’egoisme et qu’en realite ce sont des etres qui ont pleinement realises leur potentiel d’etre humain jusqu'à parvenir a cet etat que l’on nomme differement selon les traditions, nirvana pour les boudhistes, paradis chez les chretiens, samadhi pour les hindous, mais qui definit toujours une realite ultime que chacun porte en lui. Voilà donc la raison de notre depart en train pour Mysore, nous rejoignons Amma qui y donne un programme spirituel. Des milliers d’indiens sont donc reunis sous d’immenses tentes en attendant la venue de Sri Mata Amritananda Mayi, litteralement Mere de la beatitude eternelle, dans une atmosphere assez festive et paisible. Des dizaines de stands decores de guirlandes de fleurs disposes autour d’un grand chapiteau exposent et expliquent les oeuvres charitatives d’Amma ou vendent les produits fabriques a l’ashram par les moines et nonnes –encens, livres,bijoux, produits ayurvediques- medecine indienne- et autres produits cosmetiques naturels. Cela n’est pas sans rappeler l’ambiance de certains festivals chez nous, la biere en moins et le kitsh indien en plus. Puis Amma arrive et donne un petit enseignement. Ensuite vient le moment du darshan, elle va etreindre les quelques 20 000 personnes presentes. On lit dans le regard des indiens l’immense respect qu’ils ont pour Amma. Chacune de ces personnes va donc passer quelques secondes dans les bras de la sainte. Pour cela ils sont prets a faire la queue pendant des heures sous une chaleur ecrasante. Vu de l’exterieur, cela peut paraître absurde mais les indiens savent bien, avec plus ou moins de conscience, a quel point cette etreinte est precieuse pour eux. Nous allons donc passer le premier mois de notre voyage avec Amma. En ce qui me concerne, j’ai connu des moments de paix interieure incomparables en sa presence, certains dient que c’est a cela que l’on peut reconnaître un vrai maitre, a l’atmosphere de paix qui les entourre en permanence. Cependant le role d’un maitre n’est pas seulement de donner ces instants de grace mais avant tout de vous faire evoluer jusqu'à devenir des etres pleins de compassion. Et pour cela, il faut aussi passer par des moments difficiles. En realite tout ce qu’on peut vivre aupre d’un maitre comme Amma, on peut le vivre dans la vie de tous les jours. La difference tient dans le fait qu’aupres d’un sage tout devient plus intense et il sembleque les cles des problemes rencontres vous arrivent plus vite. Je sais que tout cela est peut etre difficile a avaler pour certains d’entre vous qui me lisez, mais je ne fais que raconter ce que je vis et ressents ici. Lors de mes deux premiers sejours a l’ashram en 99 et 2001, je suis passe par des moments d’extase (le mot n’est pas trop fort) comme par des depressions ou des coleres noires (le mot n’est pas trop fort non plus). Ce nouveau sejour semble marquer une nouvelle etape sur mon chemin. Comme si les traits les plus negatifs de mon charactere avaient ete lisses et je ne connais plus -par la grace du ciel- d’etats de noirceur aussi long et profond. Depuis mon arrivee a Mysore, j’ai pris conscience de certaines choses que j’ai depassees et qui n’obstruent plus le chemin du bonheur, mais j’ai aussi realise (et encore j’ai surement pas tout vu !) l’ampleur du travail qui reste a accomplir. Chaque jour, je suis mis face a ce que les hindous appellent les vasanas (les tendances latentes telles que l’egoisme, la jalousie, l’orgueil, la peur, le doute). Une vasana est une emotion cachee dans notre inconscient et qui remonte a la surface des qu’une situation s’y prete. Mes premiers jours a Mysore n’ont pas ete faciles car j’ai ressenti le poids de l’ego et surtout celui de la dualite qui l’accompagne. Je m’explique : L’enseignement donne par Amma est celui de l’advaita vedanta qui signifie connaissance de la non dualite. Selon cette ecole de philosophie, l’univers constitue de toutes les diffrentes formes que nous lui connaissons (les galaxies, les planetess, les hommes, la nature, les animaux…) est en realite sous-tendu par une unite globale, un peu comme toutes les perles d’un collier sont reliees par un meme fil. Autrement dit, derriere la diversite apparente de ce monde existe une unite sous jacente que les hindous appellent tout simplement cela ou brahman, ou encore shiva. Chez nous on l’appelle dieu, energie universelle, nature, amour,Allah ou bien on ne la nomme pas. Mais peu importe le nom qu’on lui donne, que chacun appelle cela comme il lui plaira, l’idee a retenir est qu’il existe une unite qui relie toute chose. Toujours selon l’advaita vedanta, mais cela est aussi reconnu par la psychologie occidentale, apres notre naissance se forme ce qu’il convient d’appeler l’ego (moi), soit l’identification a notre corps, a nos pensees, anos emotions. Tant que nous sommes dans le ventre de la mere, nous vivons dans une sorte de symbiose mais apres notre naissance, nous prenons peu a peu conscience que notre corps est separe de celui de la mere. Voilà donc l’ego qui vient de se créer puis va continuer a s’affirmer. Les hindous definissent aussi l’ego comme le sentiment de separation. En effet, pour nous la vie est composeee de deux choses : Moi et le monde. Et tout s’articule autour de cela, d’une part, moi, mon corps , mes pensees, mes emotions et mon histoire ; d’autre part le reste, tout ce qui n’est pas moi : le monde, les autres, la nature… Or selon l’hindouisme, le but de l’existence est d’eliminer ce sentiment de separation pour retrouver l’unite perdue. Nous vivons donc en permanence dans cette dualite : Moi et le monde. Or il s’avere que toute souffrance est due a ce sentiment de separation, a cette dualite. Le Boudha disait ‘Il existe deux causes a la souffrance, Etre separe de ce que l’on aime est souffrance, Etre uni a ce que l’on n’aime pas est souffrance. » C’est bien la le probleme avec l’ego, c’est quil a divise le monde en deux parties : ce que j’aime et ce que je n’aime pas, attraction et repulsion. Et si l’on regarde bien, nous passons nos journees balladees d’un cote ou de l’autre. Tant que nous sommes dans l’attraction, ca va, mais des que nous passons dans la repulsion, cela ne va plus. Alors que faire ? Et bien selon l’advaita vedanta, la solution consiste a retrouver l’unite avec la creation et pour cela, n’en deplaise a certains, il va falloir se debarasser de l’ego (conscience separatrice). Un jour quelqu’un a demande a Sri Sri Ravi Shankar, pas le musicien mais le maitre contemporain « Qu’est ce que l’illumination ? » A cela il a repondu « Le chemin de l’illumination , c’est d’abord etre quelqu’un, tout le monde souhaite etre quelqu’un, que ce soit au niveau professionnel, social ou sentimental. Et bien le chemin c’est d’etre quelqu’un pour ne devenir personne et une fois que vous n’etes personne, vous devenez tout le monde, voilà, c’est cela l’illumination. » C’est donc cela un maitre authentique, c’est quelq’un qui a realise son unite avec la creation toute entiere. C’est pour cela qu’il nest qu’amour, c’est parcequ’il voit son propre soi en toutes choses. Ouh la la ! Je sens que ca commence a chauffer chez certain ! Peut etre suis-je completement barre ? Peut-etre pas ? Bon, tout ce detour par l’advaita vedanta pour expliquer ce que j’entendais par ‘sentiment de dualite’. Je disais donc qu’a Mysore j’ai ressenti ce sentiment tres fortement et j’ai pu constate a quel point cela faisait souffrir de ne pas se sentir relie. Apres Mysore, nous sommes alles a Bangalore ou Amma a pris 40 000 personnes dans ses bras 3 jours de suite. Puis nous nous sommes rendus dans le Tamil Nadu pres de Nagapatinam, ville qui a subi de plein fouet le tsunami. C’etait impressionant de voir la puissance de la vague : des blocs de betons fendus en deux ou des rails de chemin de fer completement tordus, A deux ou trois cent metres de la plage des bateaux exploses. La nous avons visite 3 des caqmps de sinistres construits par l’ashram et avons distribues nourriture et ustensils de cuisine et menage. Nous avons pu mesurer la detresse de certaines victimes et a quel point la solidarite est importante. C’etait impressionant de voir ces femmes se battre pour passer en premier de peur de ne pas obtenir leur sac de 10 kg de riz. 10 kg de riz, cela ne represente rien a nos yeux, mais pour celui qui n’a plus rien… S‘il est un moment ou l’on se sent humble dans la vie, c’est bien devant la detresse des gens. Mais l’aide d’Amma ne consiste pas seulement en une assistance d’urgence, il est prevu de recolter des fonds en vue d’aider ces gens a retrouver du travail. La plupart d’entre eux etaient pecheurs et l’ashram va les aider a reconstruire des bateaux. Puis apres un trajet en bus d’une vingtaine d’heures qui a martyrise nos fesses car les routes indiennes ressemblent plus a des champs de mines qu’a nos autoroutes, nous sommes rentres a l’ashram. Nous avons ensuite passe deux semaines interessantes a l’ashram, mais le temps me manque pour vous les detailler. Mais revenons a l’instant present : En fait, je viens de vous ecrire tout ca en deux jours car depuis deux jours nous avons quitte l’ashram pour un petit coin de paradis, sous les cocotiers au bord de l’ocean. L’eau est a 28 degre et nous avons trouve une petite plage tranquille ou il n’y a personne. Nous dormons dans un hotel perche sur une falaise surplombant la mer avec une vue superbe. Bon, j’arrete de vous faire baver et vous envoie toute mon amitie. Je ne sais pas pourquoi je vous ai raconte tout ca mais c’est venu spontanement. Faites en ce que vous voudrez ! En tous les cas je vous envoie a tous une pensee affectueuse, car tous, chacun a votre facon, avez contribue a mon histoire et m’avez tous appris quelquechose. Vous etes donc tous mes gourous ! Mille bises, Martial A suivre… PS : desole pour les accents mais il n’y en a pas sur les claviers indiens.
Date de création : 14/03/2005 13h06
Dernière modification : 14/03/2005 13h11
Catégorie : Odysées narrées
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